graphique des debuts des grands partis americains

La généalogie des grands partis américains

      Les partis politiques américains plongent leurs racines dans la première période historique des Etats-Unis. Même les pratiques sont anciennes.
      Dès le départ, la simplicité du débat politique national engendra la bipolarité, qui subsiste toujours. Il n'était pas question à l'époque d'autre chose que des pouvoirs de l'Etat central. D'ailleurs les constituants s'étaient accordés sur un état fédéral minimum, ne traitant que diplomatie, défense nationale, commerce international et commerce entre Etats fédérés. Les fédéralistes voulaient un Etat fédéral fort pour contenir les factions. Les républicains jeffersoniens (dits bientôt républicains démocrates) ne croyaient qu'en chaque Etat pour défendre les libertés. G. Washington, le héros de l'Indépendance, d'inclination fédéraliste, élu à l'unanimité en 1788-1789 et en 1792 tint deux mandatures. Lassé par les attaques répétées de ses adversaires, il laissa sa place à son vice-président, J. Adams, comme lui fédéraliste.
      Tous ses successeurs furent ainsi incités à ne jamais dépasser deux mandats consécutifs. Seul Roosevelt, réélu en partie par nécessité en 1940 et évidemment en 1944, enfreignit cette loi non écrite, loi que s'empressèrent de coucher sur le papier, par un amendement à la Constitution, les républicains quand ils revinrent enfin au pouvoir.
      Après les deux présidences Washington et celle de son vice-président jusqu'en 1801, les fédéralistes reculent et laissent place aux républicains jeffersoniens, devenus républicains démocrates (en anglais: democrat republican). Les fédéralistes ne reviendront jamais au pouvoir en tant que tels. Les uns vont rejoindre le parti désormais majoritaire, d'autres attendre l'accident de 1824 pour soutenir Adams.
      1824: le caucus parlementaire des républicains ne se met pas d'accord sur un seul candidat. Chaque Etat soutient le sien, ou quasiment. Andrew Jackson, homme de l'Ouest, populaire, arrive en tête des grands électeurs, mais n'obtient pas la majorité absolue. Selon les termes de la Constitution, la Chambre des représentants doit décider de l'élection. J. Q. Adams, fils de l'ancien président fédéraliste, bourgeois du Nord-Est, se fait finalement élire grâce à des reports de voix imprévus. Rancoeur de Jackson et de ses partisans, qui s'intitulent démocrates jacksoniens, et qui prennent leur revanche en 1828 en cumulant sur leur nom votes de l'Ouest et votes du Sud.
      1832: nouveau tournant dans les pratiques; à l'instigation d'un petit parti monté pour le scrutin, les républicains nationaux (ex-partisans de J. Q. Adams), les démocrates inaugurent leur convention nationale. Le caucus parlementaire a vécu. Les démocrates prendront le nom de parti démocrate en 1836.
      Les majorités successives démocrates incitent les partisans d'Adams à se réorganiser en whigs en 1834. D'anciens fédéralistes les rejoignent, ainsi que certains démocrates du Sud, gênés par l'évolution en cours dans leur région.
      Au fil des ans et du vote de lois protectionnistes destinées à protéger l'industrie naissante du Nord, le Sud renforce son vote démocrate parce qu'il se voit contraint d'acheter plus cher les biens manufacturés à l'Europe à laquelle il est lié par ses ventes de coton. Petit à petit, le parti démocrate devient le porte-parole exclusif des intérêts des planteurs du Sud. L'esclavage se perpétuant, le parti démocrate finit par susciter un courant contraire, abolitionniste. Le marché de 1854, entre le président alors démocrate et les parlementaires du Sud (voir carte de 1856) soulève l'indignation dans le Nord. Les ex-whigs, évanescents dans le Sud, les démocrates du Nord hostiles à l'esclavage et les petits partis abolitionnistes se fédèrent dans un nouveau parti républicain, abolitionniste.
      Il y a donc désormais les deux grands partis qu'on connaît aujourd'hui. Mais ils vont connaître des mutations.
      D'abord les républicains, qui, devant les désastres militaires enregistrés en 1861, se lient aux grands industriels et banquiers du Nord. Ce mariage dure toujours.
      Ensuite le Sud, vaincu, brimé de nouveau par le fâcheux épisode de la reconstruction, se mure dans un vote démocrate quasi identitaire. Certes, juste après la guerre, les Noirs affranchis votèrent républicain (voir 1868 et suivants). Mais une fois les troupes d'occupation parties et les lois restrictives votées par les Etats du Sud, une poignée d'électeurs blancs firent les élections dans le Sud et rendirent cette zone imprenable.
      Une évolution significative arriva dans les années vingt. Avec la prospérité, le mariage ancien entre républicains et milieux d'affaires donna lieu à des abus, bientôt à des scandales. Ceux-ci créèrent ou renforcèrent l'opposition urbaine, laquelle, par un jeu de bascule logique, versa dans le vote démocrate. Les minorités catholiques, victimes de discriminations patentes, et notamment les Irlandais arrivés récemment aux États-Unis, qui n'avaient donc pas pu s'installer dans l'Ouest parce que les terres étaient prises, rejoignirent ces nouvelles sections démocrates locales, que souvent ils maîtrisèrent. Conséquence: le parti démocrate vit grandir en son sein une aile progressiste, essentiellement du Nord-Est. Le New Deal gonfla cette aile, par adjonction de couches populaires bénéficiaires de l'intervention de l'État. Mais Roosevelt ne toucha pas aux avantages des élus du Sud, démocrates, non plus qu'à la ségrégation raciale encore pratiquée dans cette région. En 1948, cette aile progressiste sera majoritaire, et fera adopter une plate-forme électorale de gauche au parti démocrate. Aussitôt les sudistes du parti feront scission. Truman n'obtiendra sa réélection que par des erreurs de l'adversaire et par sa pugnacité.
      En 1960, le flamboyant J. F. Kennedy se fit élire de justesse, en réalité grâce à son colistier texan et conservateur, L. B. Johnson, qui lui permit de sauver le Sud. En 1964, le Sud ne peut accepter la nouvelle ligne du parti, concrétisée par la politique des droits civiques: il bascule pour la première fois dans un vote républicain (voir ce scrutin). Après quelques années de trouble, le Sud vote pour le ségrégationniste Wallace en 1968, pour tomber finalement dans l'escarcelle républicaine en 1972. Seul Carter en 1976, en tant que démocrate, ralliera à nouveau tout le Sud, parce qu'il en était originaire. A nouveau Clinton se fera lui aussi élire grâce à ses origines sudistes, mais sans entraîner tous les Etats du Sud, et en partie grâce à une tierce candidature privant de voix davantage son adversaire principal que lui-même (Perot).
      En 2008 cependant et pour la première fois depuis 1972, le ticket démocrate est arrivé à se faire élire sans candidat du Sud (M. Biden est du Delaware, ancien «border state»). Les progressistes du parti démocrates sont donc désormais suffisamment majoritaires dans ce parti pour le dégager de ses historiques et pesants liens avec le vieux Sud.