menu 2008     cartes explicatives

      L'élection de 2008 ne s'est pas déroulée sous les mêmes auspices que les primaires, et a donc obéi à d'autres facteurs que ceux ayant abouti à la carte des primaires, au moins du côté démocrate.
      D'abord, la participation n'est pas celle annoncée par les médias, avec seulement 62,2% du corps électoral potentiel en 2008, contre 60,5% en 2004. L'évolution par comté est suggestive: le Sud-Est est à l'honneur: plus les comtés contiennent de la population noire, plus le sursaut de participation est net, la corrélation est parfaite. On remarquera aussi les villes en général, davantage par leurs banlieues que par leur centre, aussi paradoxal que cela paraisse. Quant aux baisses, elles sont plus éparpillées et plus faibles. Elles frappent en particulier le Dakota du Sud, qui avait exceptionnellement accru sa participation en 2004, pour des raisons très locales et liées aux Indiens des réserves sioux, et le noyau traditionaliste et républicain des confins orientaux du Kentucky; les Blancs pauvres de ce secteur ne se sont pas reconnus dans le timoré McCain.
      Ensuite, il faut constater que la victoire d'Obama n'a pas bouleversé la carte électorale des États-Unis d'Amérique, parce que le vote a été un vote de crise très largement ressenti par beaucoup de classes sociales, moyennes et inférieures et que, partant, le mouvement vers Obama par rapport à Kerry en 2004 est beaucoup plus uniforme qu'on pouvait s'y attendre, surtout au vu de la carte des résultats des primaires (carte des primaires démocrates). Cependant, l'évolution positive des votes démocrates — rapportés à la population citoyenne et en âge de voter, ce qui permet de ne pas se méprendre sur les mouvements observés —, n'est pas négligeable et obéit à une logique par paquets: on y reconnaîtra le Sud profond le plus noir et les Hispaniques du Sud-Ouest. On reconnaîtra également les grandes villes, et pas exclusivement Chicago (pas plus d'ailleurs que l'Illinois n'est en pointe dans cette carte). Obama en revanche perd dans les comtés qui s'étaient spécialement portés sur Clinton en 1992 parce que celui-ci était originaire du Sud. C'est plus qu'un classique en géographie électorale, c'est une règle d'écologie électorale: le vote notabiliaire dépasse le vote purement politique; le jour où tel candidat de telle région disparaît de la scène, le vote pour sa tendance paraît s'effriter, alors qu'il ne fait que revenir à son niveau antérieur. Cet électorat est resté à Clinton en 1996, à Gore en 2000 (ce dernier était du Tennessee), et encore visiblement en partie en 2004 sur Kerry. C'est une zone jadis démocrate, en rupture de ban depuis la scission des démocrates de tout le vieux Sud consécutivement à la politique des droits civiques de Johnson, qui avait recouvré une première fois le choix démocrate à travers le sudiste Carter, puis une seconde, donc, sur B. Clinton.
      Continuons l'examen. Le Sud-Est basculant dans le vote Obama excède les comtés noirs; vers le nord, il s'élargit à un piémont appalachien parfaitement représentatif des classes moyennes supérieures et intellectuelles attirées par le candidat Obama; elles émanent de ce chapelet de villes moyennes situées dans cette région atlantique, à nombreuses industries innovantes. Cette population en majorité blanche et plus ou moins diplômée a rejoint les Noirs du Sud profond pour concourir tout à la fois à propulser la participation et au succès d'un homme, Obama. Il y a ensuite l'Indiana, l'Etat le plus industriel aujourd'hui du pays, davantage encore à proximité d'Indianapolis. Donc à l'évidence surtout les classes moyennes plus encore que les ouvriers. Puis le nord du Nouveau-Mexique, à population spécifique, de descendants d'Espagnols de Nouvelle-Espagne, très métissés avec les Indiens du cru. Ainsi que les confins montagneux du Montana, très probablement grâce à l'apport de l'ancien fort vote Nader dans ce secteur. Dans les moindres apports, notons les Hispaniques du Texas ainsi que le Vermont, terre labourée par M. Sanders depuis longtemps. L'évolution favorable aux démocrates conjointe d'Hawaï et du Nouveau-Mexique incite à penser que les métis se sont eux parfaitement reconnus dans la personne d'Obama. Métis et Noirs constitueraient donc finalement les deux seules minorités à avoir voté de façon raciale. Il faut dire que les agressions de "latinos" par des Noirs dans la région de Los Angeles ont freiné, quoique pas complètement annihilé le vote démocrate des Hispaniques locaux. On reconnaîtra plus facilement ceux du Texas, le long de la frontière. Les Amérindiens ont eux franchement réduit leur vote habituellement démocrate, sans l'accorder au candidat républicain, qui lui aussi recule dans les comtés les plus indiens.
      Vu de loin, à la carte des progrès démocrates répond celle des reculs républicains. Vu de plus prêt, les plus fortes hausses démocrates ne coïncident pas avec les plus forts reculs républicains, ni les plus sensibles baisses démocrates avec les meilleures progressions républicaines. Cela signifie que le succès de M. Obama résulte autant du ralliement de nouveaux votants que d'ex-électeurs Bush.

      Et puis il y a des enseignements généraux à tirer. A commencer par le décalage dans le temps entre période des primaires et jour des élections générales, décalage de plusieurs mois qui a été fatal aux républicains, puisque de menaces internationales l'opinion s'est retrouvée finalement face à une énorme crise financière. Aucun des deux candidats républicains n'était plus le bon passé le rebondissement de la crise le 6 octobre; le seul candidat républicain apte à affronter la crise était Romney, écarté lors des primaires...
      Les options dans le camp républicain à l'occasion de ce scrutin feront réfléchir à l'avenir. D'abord par le choix risqué d'une colistière extrémiste, destinée à la fois à rallier l'Amérique conservatrice et les femmes, qui n'a rallié sans doute ni l'une ni les autres. C'était oublier que les femmes n'ont jamais a priori préféré une femme candidate. Suprême affront, Mme Palin a vu se dissoudre la participation et son propre camp légèrement reculer dans son Etat d'origine! McCain n'a réussi qu'à regagné un Sud-Est temporairement démocrate sous Clinton-Gore.
      Il y a aussi l'attitude du candidat Obama, qui s'est délibérément placé dans une perspective post-raciale — le contraire en quelque sorte des militants antiracistes ou racialistes de ce côté-ci de l'Atlantique. Les difficultés économiques lui donnait toutes les chances de battre le ticket républicain à partir du rebondissement de la crise financière; sa posture post-racialiste faisait le reste, en permettant un vote favorable de la part de ceux qui, parmi les Blancs humbles, ne votent pas pour un intellectuel et diplômé, en l'occurrence et par surcroît de couleur. De leur côté, les Juifs injuriés par une frange non négligeable du petit peuple noir des villes depuis plusieurs années, comme les Hispaniques montrés du doigt voire victimes de violences de la part de certains Noirs dans le Sud-Ouest, lui auraient tenu rigueur d'un éventuel et maladroit soutien à une minorité en particulier. Cette attitude post-raciale propre à M. Obama lui a permis de surmonter le danger d'être le candidat d'une minorité contre les autres. Et pourtant, elle ne lui a pas permis de décoller dans les sondages tant que la crise n'avait pas rebondi, début octobre; l'élément décisif a donc été l'incapacité crasse des républicains à gérer les crises économiques, comme en 1929. Apparté: les Juifs qu'on vient d'évoquer n'ont pas abondé dans le sens démocrate comme les sondages l'affirment, puisque les comtés de la côte sud-est et sud-ouest de la péninsule de Floride comme les comtés à l'est et à l'ouest de la ville de New York ont vu faiblement progressé Obama.
      Et il y a enfin l'écart persistant en ce 4 novembre 2008 entre sondages et réalité. Dès le début des primaires, les médias avaient fabriqué le "favori" Obama, déplorant que chaque résultat de primaire chez les démocrates n'était pas à la hauteur des sondages qu'ils avaient eux-mêmes commandés dans chaque Etat concerné; le décalage avec la réalité intime de l'électeur a subsisté jusqu'au bout, avec un décalage net entre l'avance prévue par les sondages et le résultat final, ainsi que dans la participation annoncée constamment pendant le scrutin comme un "raz-de-marée" civique.