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La participation électorale dans le monde depuis 1945
L'étude suivante se limite aux pays de plus de 150 000 habitants (en 2024), pratiquant le multipartisme, au moins le suffrage universel masculin
(sauf restriction indiquée au cinquième alinéa), et assurant un minimum de libertés pour se présenter devant les électeurs.
Les régimes à parti unique, ou élections boycottées par l'ensemble de l'opposition, ou gravement perturbées par l'activisme d'un camp quelconque ne sont pas retenus.
Est pris en compte le premier tour des élections présidentielles et législatives depuis 1945, par pays ou territoire d'outre-mer.
Les scrutins parlementaires des futurs pays indépendants sont pris en compte à partir du moment où ils acquirent une très large autonomie interne;
ces scrutins se déroulèrent en général dans l’optique voire comme préparatoires à l’indépendance. Les DOM français le sont dès 1945 (avant même l'entrée en vigueur de leur départementalisation);
les TOM le sont après 1958. D'une façon générale, les colonies ne le sont pas, parce que n'ayant en général pas bénéficié du suffrage universel.
Pour calculer la participation, on utilise la population électorale potentielle et non le nombre d'électeurs inscrits, à cause de certains États américains qui ne réclament pas cette procédure,
mais aussi à cause du manque de rigueur dans la tenue des listes électorales dans trop de pays, notamment dans ceux fraîchement convertis au système représentatif.
La population électorale est définie, selon les règles en vigueur au moment du scrutin, par la citoyenneté (presque partout exigée;
seuls le Chili, l'Équateur et l'Uruguay accordent le droit de vote à une part importante d'étrangers), le sexe, l'âge, l'alphabétisme (condition courante en Amérique latine jusqu'aux années soixante),
et enfin la race au Canada jusqu'au scrutin de 1958. Les autres conditions (de propriété notamment) furent en général supprimées avant 1945.
Pour les cartes, la borne de la classe maximum, 76 %, paraîtra modeste. Elle permet cependant d'englober d'autres pays que ceux où le vote est obligatoire et accompagné d'une sanction effective
(Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Équateur, Pérou, Uruguay et Australie), ainsi que ceux à tendances autocratiques (comme ceux issus de l'ancienne URSS),
tous pays où la participation dépasse souvent les 80 % voire les 90 %, ce qui n'est pratiquement jamais le cas ailleurs.
Enfin, les données et cartes et graphiques attingents sont à jour des scrutins tenus en octobre 2024 (Botswana, Bulgarie, Lituanie, Moldavie, Tunisie, Uruguay, Ouzbékistan).
La succession des cartes montre d'abord le rôle pionnier de l'Europe occidentale et de l'Amérique, de l'Australasie comme wagon, plus le Japon et la Thaïlande,
tout juste raccrochés au train du système représentatif libre. En second lieu, on constatera l'arrivée tardive à maturité démocratique de l'Afrique,
qui eut lieu en même temps que le monde soviétique éclata et s'y ouvrit lui-même. Enfin, on devine un fort contraste entre les premiers cités, à civisme élevé et stable,
et les seconds cités, à trajectoire électorale erratique. Les courbes d'évolution glissante vont mieux l'illustrer.
L'Europe occidentale survola longtemps le débat, à la fois par la hauteur de son civisme et par la régularité de son comportement.
Deux paramètres y concoururent: la masse et le nombre de pays qu'elle englobe, et l'enracinement des systèmes représentatifs.
Depuis les années 1970, elle se fatigue, de plus en plus engluée dans les problèmes économiques auxquels elle ne répond que par des réformes sociétales et des débats finalement stériles.
Alors que l'Ouest s'enfonce doucement dans le vague à l'âme, l'Est renaît en 1990 à la démocratie représentative à des niveaux remarquables, mais pour connaître aussitôt la chute,
jusqu'à la stabilisation des années 2000, à un niveau faible. Plus loin, les pays issus de l'ancienne URSS (moins les pays baltes et l'Asie centrale, voir leur répartition sous le graphique)
connaissent une évolution plus heurtée, à l'image de leur stabilité politique moindre.
La participation aux élections du Parlement européen est tellement en dessous des scrutins nationaux dans les pays qui le composent qu'elle devait être dessinée à part.
Elle reste très décalée, malgré un demi-rétablissement en 2019.
L'Asie développée figura longtemps en seconde place, pour fléchir puis se relever, à cause de passages à vide politiques internes au Japon puis en Corée.
En apparence, la Turquie et l'Asie centrale ont pris la relève d'une Europe qui défaille, surtout à l'est. Malheureusement,
ce beau comportement résulte d'un culte du chef en grande partie hérité du stalinisme, renforcé par l'islamisme qui ne dit pas son nom en Turquie, malgré le pluripartisme maintenant généralisé.
Plus spontanées sont les courbes de l'Amérique latine et de l'Asie du Sud-Est. La première subit d'abord quelques fortes variations dues à ses traditionnels coups d'État;
la seconde fluctua par manque de pays dans l'échantillon ainsi qu'à cause de quelques parcours politiques chaotiques; mais les deux se sont stabilisées dans la partie haute du schéma, voire s'améliorent encore (Asie).
Celle de l'Amérique du Nord et pays comparables mérite un commentaire à part. Tout le monde connaît l'histoire: participation faible parce que corsetée aux États-Unis,
puis épisode des droits civiques, libérant de nouveaux votants, puis désenchantement mettant en berne ce gain civique, et brutal réveil grâce à la compétition de 2016, toujours aux États-Unis,
au point de rattraper celle de l'Europe.
L'autre courbe du monde musulman (hors Asie jaune) ne va pas de concert avec celle de la Turquie et de l'Asie centrale — raison de leur non-agrégation — :
elle se traîne à un niveau qui montre à quel point la démocratie y était une pièce rapportée, promue par un Occident ayant oublié le poids de l'histoire.
On pourrait y associer celle de l'Afrique subsaharienne, tellement l'évolution lui ressemble. Dans ce continent de mémoire longue, le temps des colonies n'aura été qu'une parenthèse.
La participation y baisse depuis longtemps, et ce autant dans les anciennes colonies anglaises que françaises. Pourtant, les premières auraient pu connaître un sort différent des secondes.
Car le colonisateur y avait maintenu une grande distance avec le colonisé et laissé en place les chefferies locales, ce qui facilita les lendemains d'indépendance, en général dans une pratique purement parlementaire.
Alors que dans les secondes, le colonisateur, imbu de ses certitudes civilisationnelles, remplaça la chefferie traditionnelle par une administration importée et un système représentatif —
jusqu'à envoyer des députés à Paris —, qui certes aida à des indépendances en douceur, entre anciennes connaissances, mais dont il résulta fréquemment une présidentialisation à outrance,
avec parti unique, accaparant pouvoirs, ressources nationales et aides étrangères.
En 1990, une nouvelle majorité en France voulut y mettre un terme; ce fut le discours de La Baule, prolongé par une aide conditionnée par le nouveau credo de la démocratie à l'occidental.
Le pluripartisme enfin imposé tourna alors à la mathématique ethnique, où le chef de parti n'arrive plus à rallier, au premier tour, que la portion de territoire correspondant à son ethnie.
Le second tour voit se rabibocher tel meneur avec tel ou tel autre, mais le fait est là: la sérénité politique de l'endroit n'est pas assurée, et la participation s'y meurt…
L'agrégation des scrutins européens à la courbe de l'Europe occidentale fait chuter celle-ci, d'abord aux alentours de 1979 quand est introduit ce scrutin,
puis à nouveau à l'occasion de la nouvelle baisse de la participation aux européennes en 1999, baisse visible sur la première série de courbes.
Jusqu'à se faire rattraper puis dépasser par la courbe du reste du monde, qui partait pourtant de plus de 20 points de pourcentage plus bas.
Du moins par la partie du reste du monde moins développé qui vote, car l'ensemble Afrique plus Moyen-Orient est très loin de ce niveau de participation, et s'enfonce dans la dépression.
Quant à celle des autres pays développés et démocratiques, elle est très simple mais très influencée par la plus grande puissance qu'elle inclut; on pourrait répéter le commentaire précédent, pour les mêmes motifs:
montée en puissance, décrue lente mais longue, stagnation à un niveau faible, et en dernier lieu reprise vigoureuse, au point de rattraper l'Europe occidentale.
Sources statistiques:
– France: chiffres électoraux personnels, et INSEE pour la population;
– reste du monde, pour la statistique électorale: International Institute for Democracy and Electoral Assistance (IDEA), largement amendé par diverses sources en ligne,
de préférence officielles (la majorité des pays ont mis sur la Toile ce type de statistique, en général sous l’égide de leur ministère de l’Intérieur), secondairement des ouvrages spécialisés,
par exemple le compendium en 6 volumes coordonné par Dieter Nohlen; l’IDEA livre en effet des chiffres parfois fantaisistes, par exemple sur la France,
dont le nombre de votants comme d'inscrits peut être sous-estimé de plusieurs millions, ou dont l’outre-mer est tantôt pris en compte tantôt ignoré, sans logique apparente;
il lui arrive aussi de prendre les exprimés pour les votants, ce qui sous-estime d'autant la participation électorale; quant aux États-Unis, pour des raisons mystérieuses,
l'IDEA surestime le nombre de votes de jusque 11 millions: on a recouru au site très complet uselectionatlas.org pour les chiffres des présidentielles,
et à la publication de la Chambre des représentants pour ces derniers, intitulée Statistics of the presidential and congressional election,
complétées par les résultats des primaires dans les circonscriptions où l'absence de concurrence le jour du scrutin national entraîne une absence de vote et en conséquence de chiffres;
– reste du monde, pour la population: Nations unies - Division population - Department of Economic and Social Affairs - World Population Prospects 2022 -
File POP/01-1: Total population (both sexes combined) by single age, region, subregion and country, annually for 1950-2100 (thousands), Estimates, 1950 - 2021.
Pour la période antérieure et pour les compléments nécessaires à la définition de la population électorale, notamment le taux d'analphabétisme dans les pays ayant utilisé cette restriction: les recensements nationaux.