tableau des présidents élus et des majorités au Congrès

2010: ce que dirent les commentateurs... et la réalité


      Les élections à mi-mandat présidentiel de 2010 intéressèrent exceptionnellement les médias français. La préoccupation de nos commentateurs transparaissait dans tous les éditoriaux, écrits ou parlés: le président Obama - déifié il y a deux ans - allait-il conserver la majorité législative gagnée en 2008? Et qu'allaient être les résultats des fameux candidats républicains de la tendance tea party, dénoncés parce que franchement réactionnaires et un peu trop blancs?

      D'autre part, comme pour excuser l'échec annoncé d'Obama en novembre, ces commentateurs ajoutèrent systématiquement les deux adverbes «presque toujours» devant l'adjectif «hostile» (ou «contraire», «perdue»...) pour signifier que ces élections intermédiaires subissent une sorte de loi selon laquelle elles seraient en général perdues par le parti du président en place. Nous allons tout d'abord vérifier la véracité de cette qualification, devenue réflexe de Pavlov puis quasi-tautologie à partir du mois de septembre.
      Le tableau ci-contre figure les majorités élues pour chaque chambre du Congrès et celle qui résulte de leur addition, puisque cela compte dans certains votes selon les termes mêmes de la Constitution. (Ce tableau est celui de la page Tableau des majorités politiques... avec quelques signes en plus.) Il est surchargé d'un symbole noir signifiant un changement de majorité dans un sens hostile au président au cours de son premier mandat, c'est-à-dire ce qui s'est passé cette fois, gris pour l'inversion de majorité au cours d'un second mandat ou au-delà.

      Avouons que les termes «presque toujours» étaient inappropriés! Le fait fut fréquent au XIXe siècle, beaucoup moins depuis.

      Reste l'ampleur du phénomène. Une seule fois celle de 2010 fut dépassée, en l'occurrence en 1894, quand le président démocrate en place, Cleveland, fut sanctionné dans toutes les élections, perdant notamment 125 sièges à la chambre basse (-64 seulement! pour les démocrates cette fois). Dans la même configuration que 2010 (premier mandat du président, majorité lui devenant contraire), il y eut d'autres pertes sévères, davantage comparables à celles de 2010 et cependant toujours inférieures: ainsi celles de Bill Clinton en 1994 (-54 sièges), celles de 1946 subies par Truman (-54), celles subies par le républicain Taft en 1910 (-57)...

      Complétons le travail de nos commentateurs autorisés.

      Seule la Chambre des représentants est directement comparable aux chambres précédentes, contrairement au Sénat, dont les membres sont élus tous les six ans, et aux gouverneurs, élus en général tous les quatre ans, quelquefois tous les deux ans. L'étude dont le résumé suit se bornera donc à cette chambre législative, mais plus nombreuse et partant plus significative.
      Cette étude porte sur les seules circonscriptions à actes de candidature pertinents et comparables, c'est-à-dire soit avec candidats ET démocrate ET républicain, soit avec le second sans le premier (environ 400 au total). Il est bien évident que par exemple l'absence puis la présence d'un candidat démocrate (ou l'inverse) ne permet pas de juger de l'évolution du résultat républicain.
      Enfin, on utilise ici les labels tea party répertoriés par ABC, identiques à ceux du New York Times à un près.


      La plupart des 130 candidats tea party se présentaient dans des circonscriptions à sortant démocrate (seulement 15 d'entre eux reprenaient le flambeau d'une circonscription à majorité sortante républicaine). Première remarque, importante: les électeurs de base, en zone de force démocrate, ont jugé dès les primaires républicaines que les républicains traditionnels étaient moins capables de gagner que ces nouveaux venus dans la politique.
      64 de ces candidats tea party ont été élus en novembre. Ce qui montre pour le moins une pugnacité remarquable. Mieux, 52 l'ont été dans des circonscriptions démocrates. Or, les républicains considérés dans leur ensemble perdirent plusieurs sièges et en conquirent 98. 52, donc, de ces 98 conquêtes sont redevables à la tendance tea party. Autrement dit, plus de la moitié des victoires républicaines furent obtenues par une tendance qui ne représentait que moins d'un tiers de leurs effectifs (130 sur 430 candidats républicains), lequel tiers se présentait de surcroît dans les circonscriptions les moins faciles du pays.
      Continuons nos découvertes.

L'analyse des résultats


      L'analyse d'élections américaines est moins facile que celle d'élections européennes parce qu'on n'y dispose pas de nombre d'inscrits partout et donc pas de la notion d'abstentionnisme. On fera sans, en allant pourtant plus loin que ce que les éditorialistes constatent par les pourcentages avancés par les agences de presse qui sont, rappelons-le, ceux des seuls suffrages exprimés. Notons qu'au moins la participation par Etat comme nationale est connue, ce grâce aux estimations annuelles de population en âge de voter réalisées par le Census Bureau qui, combinées aux taux de population étrangère estimés par le professeur McDonald de l'université George Mason (dans le cadre de l'US Elections Project), permettent de reconstituer le corps électoral potentiel et donc d'évaluer la participation nationale et par Etat.
      En ce qui concerne les circonscriptions, on dispose d'un tableau avec résultats bruts, pourcentages et évolution de ces mêmes pourcentages entre 2006 et 2008, entre 2006 et 2010 et entre 2008 et 2010. Pour se faire une idée au moins relative de la participation électorale par circoncription, on procédera ainsi: totalisation des suffrages exprimés à l'échelon national, calcul du pourcentage d'évolution entre ces totaux de suffrages exprimés, puis soustraction à ce pourcentage national de chaque évolution par circonscription. A défaut de participation réelle, on obtient ainsi des chiffres comparables entre eux et étalonnés à une base 0, nationale. Donc, quand nous parlerons de participation à cet échelon, nous évoquerons non pas la participation vraie mais une évolution du total des votes exprimés les uns par rapport aux autres, relative. Ce pour les données de deux ans en deux ans, car pour la période 2006-2010, les chiffres bruts sont directement comparables entre eux dans la mesure où tous les quatre ans on retombe sur le même type de scrutin, soit à mi-mandat présidentiel, intrinsèquement à faible participation, soit d'année présidentielle, à participation beaucoup plus élevée...

2010 rapporté à 2006


      Celle-ci a progressé sur celle de 2006 de 1,1 point: 40,5%, contre 39,4%. La tournure prise par ce scrutin n'a donc pas effarouché l'électeur. On aurait pu penser par exemple que la victoire républicaine de 2010 s'était faite par désertion du champ de bataille de l'adversaire principal, démocrate, ce qui aurait bien sûr occasionné une sensible baisse de la participation et suffi pour une large victoire républicaine. Au contraire, il y avait presque autant de candidats démocrates en 2010 qu'en 2006 (411 au lieu de 420), et leur résultat en voix est loin d'être déshonorant (94000 voix en moyenne par candidat, contre 101000 en 2006). En revanche, les républicains gagnent plus de suffrages que les démocrates n'en perdent (105000 en moyenne en 2010, contre 92000 en 2006), ce qui signifie que les républicains ont gagné autant de nouveaux électeurs que mordu sur l'électorat démocrate.
      Quand on aligne spécialement les scores des candidatures tea party à côté des mouvements de participation, on se rend compte certes qu'elles ont plus souvent correspondu à une hausse de participation qu'à une baisse, mais aussi que les contre-exemples sont tellement fréquents qu'il n'y a pas de corrélation à en tirer à l'échelon national. Ce ne sont donc pas elles explicitement qui ont suscité ce petit surcroît de participation; elles y ont concouru ici ou là, plus ou moins, mais le lien n'est pas évident. Plus étrange, quand on juxtapose cette fois le label tea party aux gains en pourcentage des républicains entre 2006 et 2010, là encore les candidatures tea party s'inscrivent uniformément dans cette liste ordonnée; elles n'ont donc apparemment pas suscité un enthousiasme particulier, du moins par rapport à 2006.

... et à 2008


      Les choses changent sensiblement quand on rapporte 2010 à 2008.
      Déjà en ce qui concerne la participation (relative, je le rappelle). Si, comme entre 2006 et 2010, les tea party n'en paraissent pas constituer un catalyseur, si à nouveau tous les cas de figure se rencontrent, les choses s'ordonnancent notablement sur la carte américaine. A New York et à l'entour, dans le Connecticut et une large partie du New Jersey, la participation résiste s'ils sont présents, alors qu'elle diminue fortement sinon. Tandis que dans le Sud-Est et ce à partir de la banlieue sud de Washington jusqu'au Texas inclus, leur présence a apparemment fait fuir une partie des électeurs.
      La juxtaposition des labels tea party à l'évolution ordonnée des scores républicains comme démocrates enseigne qu'ils ont davantage fait baisser les démocrates et symétriquement progresser le camp républicain que les autres candidats républicains: respectivement de 2,5 et 3 points de pourcentage en plus (cf. tableau ci-dessous). Elle confirme leur ascendant dans l'aire métropolitaine new-yorkaise, où ils progressent beaucoup plus sur les autres républicains (+11,5% contre +5,5%), occasionnant une chute symétrique des démocrates (-11% contre -5,5%). En Nouvelle-Angleterre, le camp républicain progresse autant mais avec une primauté moins évidente pour les tea party. Dans l'Ohio et le Missouri, les tea party font reculer encore plus violemment les démocrates, mais sans augmenter proportionnellement le score républicain. Dans le Texas, les tea party font largement reculer les démocrates et progresser les républicains, mais font baisser la participation. Ailleurs, rien d'uniforme, même à l'échelon d'un Etat de certaine taille.

      Au moins, ces évolutions sont-elles le négatif de celles observables entre 2006 et 2008, une sorte de rattrapage, de retour de pendule?
      Non. Les démocrates n'avaient pas sensiblement augmenté dans la zone new-yorkaise, peu dans le Missouri, pas autant dans l'Ohio, loin de là, et avaient stagné dans le Texas. Les républicains n'y avaient pas non plus connu de mouvement inverse, d'éclipse; dans le Texas, ils avaient même augmenté.
      On aurait donc affaire à une écologie des votes particulière, qu'il est bien délicat de projeter dans l'avenir. Si les tea party avaient partout correspondu à des hausses de participation, on aurait pu proclamer qu'on avait affaire à un réveil d'électeurs ultra conservateurs anesthésiés par des succès démocrates locaux et répétés, électeurs auxquels la fougue et le culot des tea party aurait rendu vie (grand classique en géographie électorale: l'extinction progressive, quoique non irrémédiable, d'un camp politique dans une région où le vainqueur conquiert la majorité des postes à pourvoir plusieurs fois d'affilé et étouffe son opposition).
      Les tea party mordent sur le camp républicain autant qu'ils gagnent des électeurs nouveaux et ce dans des proportions extrêmement variables d'une circonscription à l'autre, suscitent un allant à voter tout aussi variable d'une circonscription à l'autre, ne compensent pas un mouvement électoral contraire qui aurait eu lieu entre 2006 et 2008, mais s'inscrivent dans une logique régionale. Pas de mouvement d'ensemble, mais des irruptions de type volcanique.

Amérique profonde, blanche, réactionnaire?


      Les commentateurs clamèrent que ce vote était l'écho de l'Amérique profonde, rurale, blanche, réactionnaire, quand l'accusation n'allait pas jusqu'au racisme.

      Amérique profonde? Sans aucun doute, mais par opposition à la sphère de gens qui ont voix au chapitre: artistes à succès, monde de la mode et du show business, animateurs de télévision et amuseurs publics, éditorialistes, chroniqueurs, journalistes et autres commentateurs autorisés, politiciens, grands chefs d'entreprise, etc. La concentration de succès autour de New York le suggère incoerciblement.
      Rurale? Faux et vrai à la fois. Faux si on considère les candidats, vrai si on considère les élus. Mais les chiffres des autres républicains sont tellement proches et de surcroît légèrement supérieurs qu'il est fallacieux de proclamer ce fait comme une originalité des tea party. Et si les républicains, toutes tendances confondues, sont plus facilement élus en zone rurale que les démocrates, cela est une constance depuis longtemps déjà.
      Blanche? Faux et vrai à la fois. Faux parce que les circonscriptions avec candidat tea party recèlent un peu moins de Blancs non hispaniques (68,0%) que celles des autres républicains (69,7%), lesquels se situent à peine au-dessus de la moyenne dans la population américaine (69%). Vrai si on ne considère que les élus tea party: leurs circonscriptions recèlent 74% de Blancs. Mais celles des autres élus républicains en détiennent 74,9%! Là encore, ce qui se voulait accusation s'adressait en réalité inconsciemment à toute l'Amérique conservatrice.
      Surprise! la population noire était surreprésentée dans les circonscriptions à candidature tea party, et presque autant dans celles à élu tel, alors qu'elle était légèrement sous-représentée dans celles des autres républicains.
      Les circonscriptions à candidat tea party n'évitent pas les zones à forte population hispanique ou asiatique. Cela se retrouve dans les chiffres, dont n'auraient pas à rougir les candidats républicains, de toute tendance au demeurant. Il n'en va pas de même pour les circonscriptions à élu tea party, qui n'en contiennent que 3,8% contre 6,0% dans la population américaine.
      En revanche, les métis étaient sensiblement surreprésentés dans les circonscriptions à candidat républicains, tea party ou autre, mais sous-représentés dans celles à élus tea party. Y aurait-il eu un réflexe inconscient à cause de l'origine du président en place?...

      La simple cartographie des circonscriptions où se présentaient des républicains tea party frappe par le côté «classes moyennes» des comtés traversés. Elles évitent systématiquement les extrêmes sociologiques, raciaux ou autres. Cela, cependant, a été plusieurs fois dit par des commentateurs... qui ne sont finalement pas tous déphasés sur tout!